C’est l’histoire d’un milliardaire tchèque qui multiplie les acquisitions en France. Son nom ? Daniel Kretinsky, et dans son giron, on retrouve désormais Marianne, Editis, Métro, Fnac-Darty, la centrale à charbon de Saint-Avold, et on en passe… Après avoir fait fortune dans les énergies fossiles, voilà que Kretinsky se met à tisser un empire économique dans l’Hexagone. Mais qui est-il vraiment ? Portrait !
Qui est Daniel Kretinsky ?
Né le 9 juillet 1975 à Brno, en Moravie-du-Sud, Daniel Kretinsky est une figure marquante du monde des affaires en Europe, c’est le moins que l’on puisse dire à son propos… Cet avocat de formation, qui a complété une partie de ses études en France, à Dijon, est très vite devenu un acteur incontournable dans le secteur de l’énergie, doublé d’un milliardaire influent.
A la tête du groupe tchèque Energetický a průmyslový holding, Kretinsky a bâti son empire en acquérant d’importantes mines et centrales de charbon. Mais c’est dans le secteur des médias en France qu’il s’est fait un nom ces dernières années… Sa holding Czech Media Invest s’est emparée de titres prestigieux, au premier rang desquels citons Elle, Télé 7 Jours, Marianne, France Dimanche, Ici Paris, Usbek & Rica et Franc-Tireur. Entre octobre 2018 et septembre 2023, il joue également un rôle clé en tant qu’actionnaire majeur du groupe Le Monde, sans toutefois exercer un contrôle effectif sur le journal. En mars 2023, Daniel Kretinsky entre en négociations exclusives pour acquérir le groupe Editis, numéro deux français de l’édition, sous l’égide du groupe Vivendi de Vincent Bolloré, témoignant de son ambition croissante dans l’industrie médiatique.
Sur un plan plus personnel, Kretinsky est issu d’une famille francophile – sa mère fut juge à la Cour constitutionnelle tchèque et son père professeur d’informatique -, ce qui explique sans doute son attrait pour la France. Il partage sa vie jusqu’en 2023 avec Anna Kellnerová, fille de son associé défunt Petr Kellner et championne d’équitation. Proche de l’ancien Premier ministre tchèque Mirek Topolánek, il est connu pour ses positions en faveur du libéralisme économique et culturel, ainsi que son soutien à l’OTAN.
Avec la guerre en Ukraine et la crise énergétique, la fortune de Kretinsky, bâtie sur le gaz et le charbon via la holding tchèque EPH, a doublé en un an, atteignant plus de 9,4 milliards de dollars selon Forbes.
La folle ascension d’un « stratège » de l’énergie
Les premiers pas « officiels » de Daniel Kretinsky en France ? Ils remontent à l’été 1990. Plusieurs années plus tard, il se retrouve aux côtés de Brigitte Macron lors du sommet « Choose France ». Près de neuf ans après cette première visite, fraîchement diplômé en droit, il entame sa carrière au sein du groupe d’investissement J&T, prélude à une ascension pour le moins fulgurante…
Kretinsky bâtit sa fortune en misant sur le charbon et les centrales électriques, à un moment où de nombreuses entreprises européennes cherchent à s’en débarrasser pour soigner leur image écologique. Son entreprise, EPH, devient la plus grande compagnie d’électricité privée d’Europe, avec une capacité de 14,4 GW répartie dans neuf pays, alliant charbon, nucléaire, gaz et énergies renouvelables. « Il a fini par gagner beaucoup d’argent sur des actifs qu’il avait achetés à bas prix », révèle une source proche d’Engie.
C’est le cas de le dire, Daniel Kretinsky a le nez fin pour flairer la bonne affaire. La preuve ? Le rachat des mines allemandes et des centrales électriques de Vattenfall en 2016, une opération de 8 000 mégawatts et 1,7 milliard d’euros. A ce propos, un vétéran du marché tchèque de l’énergie souligne son talent de négociateur, capable de convaincre toutes les parties, y compris les syndicats. Michal Snobr, spécialiste de l’énergie et ancien collaborateur de Kretinsky chez J&T, résume son approche : « Acheter une entreprise, l’exploiter immédiatement et la faire croître rapidement ». Simple, clair, efficace. Kretinsky est décrit comme un homme de grande clairvoyance, de courage, avec la capacité d’aller au bout des choses, travaillant d’arrache-pied lorsque la situation l’exige. C’est sans doute ce qui explique sa fortune…
Un homme d’affaires « très, très dur »
Les associés de Daniel Kretinsky sont unanimes : l’homme d’affaires tchèque fait montre d’une maîtrise exceptionnelle des détails opérationnels des entreprises où il investit. « Parfois, il connaît mieux l’entreprise cible que son propre directeur financier », note Igor Mesensky de KPMG Czech Republic, conseiller de Kretinsky. Ce que ça donne en chiffres ? Les entreprises sous le contrôle du magnat des affaires ont enregistré des bénéfices d’exploitation records, avec un EBITDA de plus de 9 milliards d’euros l’année dernière, et des actifs dépassant 80 milliards d’euros, à en croire un porte-parole d’EPH. Pour 2022, EPH a annoncé un bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement de 4,3 milliards d’euros !
La holding de Kretinsky, discrètement installée rue de Paris à Prague, emploie environ 250 personnes et est dirigée par un cercle restreint de gestionnaires loyaux, certains détenant des participations minoritaires. Les récents investissements de Kretinsky en France, bien que complexes, représentent un enjeu financier relativement modeste pour le milliardaire, mais potentiellement très rentables. « Nous parlons de 1,2 milliard pour Casino… ce n’est rien du tout », souligne une source proche d’Engie. La même logique s’applique à son investissement dans Atos, où des banquiers d’affaires reconnaissent sa capacité à négocier les meilleures conditions financières, souvent en position d’unique acheteur crédible.
« Il est très, très dur », admet un banquier d’affaires ayant travaillé avec lui. « Sa marque de fabrique est de conclure des transactions dans des conditions extrêmement difficiles », de quoi ajouter une couche supplémentaire à l’image d’un homme d’affaires redoutable et déterminé.
La France dans le viseur
Daniel Kretinsky vient de frapper un grand coup dans le paysage économique français en rachetant une partie des activités d’Atos, le deuxième groupe informatique du pays. En à peine cinq ans, le milliardaire tchèque, francophile et passionné de football, s’est imposé comme une figure de proue du capitalisme tricolore. En effet, après les médias et la grande distribution, il continue d’étendre son empire dans l’Hexagone. Son dernier coup de maître ? Atos, un fleuron français sujet à des difficultés financières. On voit déjà la marque de fabrique de Kretinsky… La transaction, conclue le 1er août dernier pour la coquette somme de 100 millions d’euros, lui permet de s’emparer de Tech Foundations, la branche d’Atos spécialisée dans la maintenance de l’infrastructure informatique, qui emploie 52 000 personnes à travers le monde.
Cette acquisition, réalisée dans un secteur en difficulté et impacté par la concurrence du cloud, souligne la stratégie d’investissement atypique de Kretinsky, qui privilégie les entreprises en difficulté et les placements à contre-courant. « Il intervient dans des secteurs mal évalués par les marchés mais qui correspondent à des besoins durables, qui peuvent créer de la valeur. C’est un fin stratège et un excellent négociateur », explique Denis Olivennes, conseiller de Kretinsky, dans une interview accordée aux Echos.
Un baron de l’énergie à la conquête d’un groupe de distribution
Trois acquisitions majeures en quelques semaines, c’est le bilan de Daniel Kretinsky en France. En juin dernier, il prend le contrôle d’Editis, deuxième plus grand groupe d’édition en France, rassemblant des marques aussi prestigieuses que Robert Laffont, Bordas, Nathan, Plon et La Découverte. Puis, fin juillet, un « accord de principe » est annoncé par le groupe Casino, en difficulté financière, sur une offre de reprise conjointe entre Kretinsky, l’homme d’affaires Marc Ladreit de Lacharrière et le fonds d’investissement Attestor. Si l’accord se conclut, ce sera la première fois qu’une enseigne historique française passe sous contrôle étranger…
Kretinsky, déjà bien ancré dans le secteur de la distribution, détient près de 50 % du géant allemand Metro, est le deuxième actionnaire de Sainsbury’s en Grande-Bretagne et a récemment investi dans FNAC-Darty. « En l’espace de quelques semaines, son implication dans le pays a pris une tout autre dimension », confie un patron du CAC 40 au Figaro. Kretinsky, qui discutait des manuels scolaires d’Editis avec Vincent Bolloré, se retrouve désormais en pourparlers avec les hautes sphères de l’Etat autour de Casino.
La passion de la France… et du foot !
Au-delà de ses ambitions économiques, la France tient une place particulière dans le cœur de Daniel Kretinsky. Nous vous le disions, le natif de Brno, deuxième ville de République Tchèque, est un francophile et francophone averti, ayant fait une partie de ses études à Dijon. En 2018, il a réussi à allier ses passions pour la France et la presse, en investissant d’abord dans l’hebdomadaire Marianne et le magazine Elle, puis en entrant au capital du groupe Le Monde.
Kretinsky, qui prône « un engagement citoyen », a également injecté 15 millions d’euros dans le quotidien Libération en septembre, sans toutefois en devenir actionnaire. Malgré certaines inquiétudes sur son influence, les dirigeants de presse reconnaissent en lui un investisseur non interventionniste. « Il n’est pas du tout interventionniste, on fait exactement ce qu’on veut », affirme Caroline Fourest, directrice de l’hebdomadaire Franc-Tireur.
La stratégie d’investissement de Kretinsky, diversifiée et parfois surprenante il faut l’avouer, suscite toutefois quelques interrogations. L’homme d’affaires s’intéresse également à la logistique, détenant déjà des parts dans PostNL et Royal Mail. Son amour pour le football le place au cœur du sport : principal actionnaire du club anglais West Ham et propriétaire du Sparta Prague, il a cependant écarté l’idée de racheter l’AS Saint-Etienne.
Un magnat de la presse à l’appétit insatiable
Sur un autre registre, on dit de l’homme qu’il est « obsédé » par la presse. La preuve ? Rappelons que Daniel Kretinsky est propriétaire de plusieurs médias, et non des moindres, à la fois en Europe centrale et en France : Marianne, France-Tireur, Elle, Télé7 jours, Public, Usbek & Rica, France Dimanche… Pour autant, il ne compte pas s’arrêter là ! Depuis l’acquisition de Lagardère Active pour 50 millions d’euros en 2018, regroupant ses activités françaises sous la bannière de CMI France, dirigée par Denis Olivennes, Kretinsky ne montre aucun signe de satiété.
Diplômé de l’Université de Prague et de la faculté de droit de Dijon, l’ancien avocat, fils d’un professeur d’informatique et d’une juge, s’est hissé au rang des industriels les plus influents d’Europe. A la tête du groupe EPH, numéro un de l’énergie en Europe centrale, il marque de son empreinte divers secteurs (presse écrite, radio, édition, numérique, audiovisuel, podcast, distribution, énergies fossiles…), et étend son influence dans plusieurs pays. Nous vous le disions, depuis 2018, Kretinsky est actionnaire du Monde et a récemment injecté 14 millions d’euros dans Libération, sans pour autant y entrer au capital. Des rumeurs le disent intéressé par d’autres titres tels que Valeurs Actuelles, L’Opinion ou encore Challenges.
Bien qu’elle puisse inquiéter certains, sa présence grandissante dans le paysage médiatique français est perçue favorablement par l’Etat, Kretinsky étant considéré comme « Macron compatible ». Il bénéficie également du réseau et de l’influence d’Etienne Bertier, ancien dirigeant d’EDF et de la Caisse des dépôts, figure clé ayant facilité l’implantation de Kretinsky dans le secteur des médias français.
Vers un possible rachat d’Engie ?
Les spéculations s’intensifient autour des intentions de Daniel Kretinsky, dont le patrimoine, estimé à plus de 8 milliards d’euros, a doublé en à peine cinq ans. « Citizen K », comme il est surnommé, ne se contente pas de petites acquisitions : il a déboursé 43 millions d’euros pour le château du Marais dans l’Essonne, possède une villa à Londres et une île privée aux Maldives, révèle L’Equipe. En quelques années, il a construit un véritable empire. EPH, sa société principale, réunit 70 entreprises à travers neuf pays en Europe, avec une capacité de production équivalente à vingt réacteurs nucléaires. Ce n’est pas tout : EPH figure parmi les dix premiers fournisseurs d’énergie en Europe et a déjà marqué sa présence en France, notamment en investissant dans des centrales à charbon, qu’il a finalement dû fermer.
Dernièrement, il se murmure dans les coulisses que l’engouement de Kretinsky pour les médias français ne serait qu’une étape dans un plan plus vaste visant à acquérir un grand énergéticien français. Engie, souvent cité, pourrait être la prochaine cible du milliardaire tchèque ! Une piste à suivre de près, et qui, si elle venait à se confirmer, le hisserait au rang de maître incontesté de l’énergie en Europe…